Du 1er au 3 septembre, le chef de l'Etat effectue un déplacement exceptionnel dans la cité phocéenne. Au menu : un « plan spécial » visant les écoles, les transports, la sécurité et le logement. Sur place, les Marseillais que « Marianne » a rencontrés n’y croient guère.
Autour de la gare Saint-Charles, dans ces quartiers de l’hyper-centre en déliquescence, à quelques encablures de la rue d’Aubagne où l’effondrement d’immeubles avait causé la mort de 8 personnes en 2018, la population interrogée sur la visite présidentielle oscille entre scepticisme et lassitude. Le « plan » mêlant, dixit l’Élysée, « mesures d’urgence » et de « long terme » évaluées à 1,2 milliard d’euros, n’est-il pas susceptible de faire entrer la deuxième ville de France dans une nouvelle ère ? « On nous a tellement promis de choses par le passé ! », souffle Éric, restaurateur quinquagénaire. Tranché, le propos se retrouve dans la bouche de tous les Marseillais croisés par Marianne.
Habitué à sillonner les quartiers populaires de la ville, Charles Hoareau, la soixantaine et militant de la CGT, voit la venue du Président comme un « non-événement. En quoi pourrait-il être crédible dans ces quartiers ? Les politiques leur ont trop menti. » Conséquence visible de cet état d’esprit, l’abstention grimpe, dépassant aux dernières élections régionales les 80 % dans les 3e, 14e et 15e arrondissements, avec des pointes à 87,5 % dans certains secteurs. Là, le taux de pauvreté dépasse les 50 %, contre 26 % à l’échelle de la ville, où l’on dénombre 40 000 taudis. En bref, le mal est profond, et les problèmes multiples.
« TOUS MES AMIS D’ENFANCE SONT PARTIS. IMPOSSIBLE DE FONDER UNE FAMILLE ICI »
« Les services publics comme les bureaux de poste se sont raréfiés dans les quartiers Nord », constate Hassen, 45 ans et habitant de la Castellane, qui lâche : « On se sent abandonnés ! » Alexandre, 39 ans, a vécu toute son enfance dans l’une de ces zones pavillonnaires aux airs de village qui, de la Rose à Saint-Antoine, entourent les barres HLM. Il témoigne d’un même ressenti : « On ne trouve plus de boulanger ni de boucher, seulement des kébabs… Je n’ai rien contre, mais ce n’est comme ça que se perpétue une vie de quartier. Qu’est-ce que Macron pourrait faire contre ça ? » À 27 ans, CDI en poche, Alexandre déménageait dans les quartiers Sud. « Tous mes amis d’enfance sont partis. Impossible de fonder une famille ici. Personne n’a envie de se lever le matin et d’apprendre qu’un type s’est pris une rafale de kalachnikov à 200 mètres de là. C’est encore arrivé le mois dernier, tout près de chez mon père. »
Il y a 8 ans, le « Collectif du 1er juin », constitué par des mères de famille des quartiers, entendait changer la tendance. « Elles n’en pouvaient plus de voir leurs enfants dériver et mourir, explique Charles Hoareau. Ces femmes ont fait des propositions précises, non pas sur le tout sécuritaire, mais aussi en termes d’emploi, d’éducation… Et elles n’ont pas été entendues ! » De son côté, Ludovic, éducateur qui travaille depuis près de vingt ans dans le 13e arrondissement (au Nord de la ville), déplore « la disparition de la police de proximité, la baisse des subventions aux associations et le clientélisme des élus, qui ont laissé les éducateurs de rue en première ligne et seuls… »
« LES DEALERS SONT PARTOUT, DE PLUS EN PLUS JEUNES »
Dès lors, la hausse des effectifs et des moyens dévolus à la police comme à la justice paraît d’emblée insuffisante : « Il y a vingt ans, le trafic de drogue restait circonscrit à certaines cités et assez discret. Aujourd’hui, les dealers sont partout, de plus en plus jeunes et toujours plus nombreux. Ils ne se cachent même plus. La situation a échappé aux politiques. »
Pour donner l’impression inverse, Emmanuel Macron se rend à la cité Bassens, l’une des plus difficiles de Marseille. Jean, qui a travaillé trente ans à proximité, souligne à quel point le problème est ancien : « Dans les années 1980, des voitures volées se faisaient désosser au pied des barres d’immeubles, mais la police ne bougeait pas. En passant devant, un client avait reçu une balle de 22 long rifle dans son pare-brise ! Depuis, ça ne s’est pas arrangé. Pour moi, c’est trop tard. »
« ON N’A JAMAIS DE BUDGET »
Parmi les mesures de « fond » promises par l’Élysée, la rénovation des écoles pèse lourd : 200 des 440 maternelles et écoles primaires marseillaises nécessitent en effet des travaux importants. En un an de mandat, l’actuelle majorité est intervenue dans l’urgence, apposant à l’entrée de chaque établissement des panneaux qui proclament que « la ville agit pour les écoles », sur lesquels on peut lire le détail des travaux entrepris, ici une « réfection du sol », là des « tracés de jeux de cour »…
« Certes, la ville agit, et c’est nouveau, mais ça reste très insuffisant », constate Mickaël Bregliano, professeur des écoles et délégué syndical SNUipp-FSU. Dans une école primaire de la Belle-de-Mai, au cœur de l’un des quartiers les plus pauvres de France, ses collègues semblent fatalistes : « En 2014, on avait interpellé Najat Vallaud-Belkacem, qui était notre ministre de tutelle, sur l’état déplorable des locaux et le manque d’effectifs... On avait eu droit à des promesses, non tenues », regrette Sandrine. Elle ajoute : « Pour organiser des sorties scolaires ou des classes vertes, on monte des dossiers pendant six mois mais on n’a jamais de budget. Il faut qu’on fasse la mendicité auprès d’entreprises privées, ou qu’on mette les parents à contribution, ce qui n’est pas simple pour certains foyers… »
ABSENCE DE MIXITÉ
Dans la salle des profs, on s’accorde sur le fait que les annonces présidentielles peineront à être suivies d’effets, sauf sur un plan : « On a 20 tablettes informatiques pour 460 élèves et pas de rétroprojecteur dans les classes, précise Sandrine. Nous équiper correctement pourrait être un premier pas. » Et ensuite ? « On verra bien », glisse Mickaël. Reste un problème de fond : l’absence de mixité. « Je suis allé à l’école dans les quartiers Nord et toutes les origines étaient mélangées, se souvient Alexandre. Maintenant, les gamins se disent tous comoriens ou maghrébins. » Le plan macronien pourra-t-il résoudre cette équation ?
« À quelques mois des présidentielles, tout le monde a compris qu’il est en campagne », martèlent nos interlocuteurs. Ludovic, notre éducateur des quartiers Nord, va plus loin : « Macron joue volontiers la carte "marseillaise" et se dit supporter de l’OM en clamant son amour de la ville. Je ne suis pas certain que la réciproque soit vraie. »
« CEUX QUI POSENT PROBLÈME, CE SONT LES GAMINS D’ICI PLACÉS PAR LES SERVICES SOCIAUX. »
Autre point sur lequel tout le monde s’accorde : le poids du chômage, qui, dans les quartiers défavorisés, touche deux habitants sur trois. « C’est le premier problème de Marseille, avec la précarité et les bas salaires, analyse Charles Hoareau. Et je n’ai pas l’impression que le Président, avec sa théorie du ruissellement, veuille faire quoi que ce soit à ce niveau. » Malmenée dans les années 1960 par la fin d’une colonisation permettant aux industries locales de s’approvisionner en matières premières à bas coût, mise à mal la décennie suivante par la fermeture de chantiers navals fatale à 100 000 emplois, l’économie phocéenne peine à remonter la pente.
Ludovic atteste pourtant de l’efficacité du travail comme vecteur d’insertion sociale : « Parmi les 400 mineurs étrangers isolés dont je me suis occupé en vingt ans, 97 % suivaient un apprentissage professionnel qui débouchait sur une embauche. Ils sont venus ici avec un idéal, pour travailler et avoir une vie meilleure. Ceux qui posent problème et qui basculent très tôt dans la délinquance, ce sont les gamins d’ici placés par les services sociaux. Ces minots n’ont pas d’idéal. Le seul cadre qui s’offre à eux, c’est celui de la bande pourvoyeuse d’argent facile. » Une autre sorte d’agent magique ?
S/M/Afrcsol
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