Jugé pour « détournement de deniers publics », l’édile a été reconnu coupable, notamment, d’« escroquerie » et condamné à payer une faible amende
 
Khalifa Ababacar Sall était arrivé au tribunal correctionnel de Dakar, vendredi 30 mars au matin, comme à son habitude, sous les acclamations de centaines de ses partisans. Il est reparti sous leurs pleurs et leurs cris de colère. Une bagarre entre le public et les gendarmes a obligé le juge Malick Lamotte à quitter précipitamment la salle d’audience après avoir rendu son verdict. Le maire de Dakar, en prison depuis le 7 mars 2017, n’en sortira pas. Il a été condamné à cinq ans de prison ferme et à une amende de 5 millions de francs CFA (7 620 euros) pour « faux et usage de faux » et « escroquerie portant sur des fonds publics ». Il est en revanche relaxé des chefs d’inculpation d’« association de malfaiteurs » et de « blanchiment de capitaux ».
 
Le juge a estimé que Khalifa Sall était coupable, de par sa qualité « d’ordonnateur des dépenses », d’avoir « apposé sa signature au verso de 110 fausses factures de mil et de riz avec la mention vu, vérifié, liquidé (…). En certifiant ces factures qu’il savait fictives, Khalifa Sall avait la conscience claire », a-t-il déclaré lors de la lecture du délibéré. Le maire était accusé avec sept collaborateurs d’avoir détourné, entre 2011 et 2015, 1,83 milliard de francs CFA (2,8 millions d’euros) d’une caisse d’avance servant à régler des dépenses urgentes, par le biais de fausses factures. Mécanisme que la défense avait justifié comme une pratique ancienne dont le maire de la capitale sénégalaise avait hérité.
 
Le tribunal a aussi rejeté l’argument de la défense qui présentait la caisse d’avance comme le réceptacle de fonds politiques destinés au secours de la population dakaroise, ainsi qu’à des dépenses municipales diverses. « Les accusés n’avaient pas besoin d’user de faux s’il s’agissait de fonds politiques, a dit le juge. Ils ne peuvent qualifier en fonds politiques des crédits qu’ils ont signés en tant que dépenses diverses. »

Le parquet avait requis sept ans de prison. Cinq sont déjà trop, selon les soutiens du maire de Dakar. « Toutes les exceptions de procédure ont été levées, il ne restait que les fausses factures, déclare Makhtar Diao, directeur de la cultureet du tourisme de la ville de Dakar et proche du maire socialiste. Ils lui ont donné une peine de prison pour l’empêcher de se présenter à la présidentielle de 2019. »

La lecture du verdict a déclenché des échauffourées à l’intérieur et hors de la salle d’audience de 1 300 places pleine à craquer – quelques volées de poings et des invectives avec les forces de l’ordre, un homme hurlant vers les magistrats : « Ils ont voulu la guerre, ils vont l’avoir ! » Supportrices s’évanouissant sur les bancs du public, d’autres agenouillées en pleurs devant le tribunal : les scènes étaient d’une rare cacophonie. Les fumigènes de la police n’ont pas suffi à calmer les esprits.

« A feu et à sang »

« C’est un simulacre de procès, nous allons défendre Khalifa, même s’il faut mettre ce pays à feu et à sang ! Le président Macky Sall a instrumentalisé la justice parce qu’il avait peur d’être battu par Khalifa aux élections ! », s’emporte Abdou Diop. Son ami Coumba Faye, responsable socialiste du département de Fatick, surenchérit : « Le président doit se rappeler des hommes et des femmes morts pour établir l’équilibre démocratique dans ce pays. On espérait êtredans un pays de droit, mais ceux qui rendent la loi ne sont pas là pour les Sénégalais », hurle-t-il avant d’être emporté par la police.

 

Dans l’écrasante majorité pro-Khalifa de la foule, quelques voix dissonantes se font entendre, comme celle de cet homme qui estime que la condamnation du maire est une première étape : « Nous devrions traquer et condamner tous les maires corrompus du Sénégal qui jouent avec l’argent du contribuable », lance-t-il avant de s’échapper discrètement.

Non loin, assailli de micros, Me Ciré Clédor Ly, avocat de la défense, soutient que, si les élections ne sont que dans dix mois, « le parcours est encore long avant une condamnation définitive », allusion à l’appel qu’il souhaite interjeteraprès cette décision. « Même en prison, Khalifa peut présenter sa candidature et participer à la présidentielle, assure-t-il. L’important, aujourd’hui, c’est que le peuple sénégalais manifeste son mécontentement contre cette décision de justice qui ne protège que la caste politique en place. »

Du côté de l’Etat, partie civile dans ce dossier, Me Baboucar Cissé se réjouit prudemment de la victoire. « Nous n’avons pas encore gagné. Il a un mois pour faire appel, puis il y a encore la cassation, affirme-t-il. Tant que la condamnation n’est pas définitive, il est libre de se présenter à la présidentielle. » Cette perspective peut inquiéter le pouvoir. Le 30 juillet 2017, la forte popularité du maire de Dakar lui avait permis de se faire élire député à l’Assemblée nationale alors qu’il était déjà en prison. Il avait été déchu de son immunité parlementaire quatre mois plus tard.

Selon une proche collaboratrice du maire, Khalifa Sall « s’attendait à une condamnation liée à un chef d’accusation comme escroquerie qui permette de le garder en prison. Cela confirme pour nous la lecture politique de la décision ». Si les avocats du maire réclament du temps avant de faire appel, ses proches laissent entendre que l’officialisation de sa candidature à la présidentielle de février 2019 pourrait être annoncée prochainement. Et s’il est élu avant l’épuisement de ses recours, le Sénégal connaîtra un cas inédit mais plausible : son premier président incarcéré.


S/LEMONDE.AFRIQUE/AFRICSOL

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