En Afrique du Sud, l’ancien chef d’État  Jacob Zuma a été condamné à quinze mois de prison le 29 juin dernier pour outrage à la justice. Gangrené par la corruption, son parti politique se retrouve dans la tourmente, alors que des émeutes embrasent le pays depuis l'annonce de l'incarcération de l'ex-chef d'Etat.

Le pays de Nelson Mandela est au bord de la rupture. Depuis cinq jours, l’Afrique du Sud est confrontée à des violences dans la foulée de l’incarcération de l’ancien président Jacob Zuma. La plus haute Cour de Justice l’a condamné à quinze mois de prison ferme le 29 juin dernier pour son refus de témoigner devant la justice. Président entre 2009 et 2018, année ou il a été écarté du pouvoir, Jacob Zuma est accusé de corruption et de mainmise sur des fonds publics. Ce scandale a ébranlé le Congrès national Africain (ANC), le parti politique de Nelson Mandela mais aussi du président en exercice Cyril Ramaphosa.

Si l’arrestation de Zuma a servi d’étincelle aux violences, les contestations traduisent en réalité un ras-le-bol généralisé des classes les plus pauvres qui subissent de plein fouet la crise économique liée à la pandémie de Covid-19. Le taux de chômage culmine désormais à 75 %, chez les jeunes, selon les données officielles. Mardi 13 juillet au soir, un bilan faisait état de 72 morts, si bien que Cyril Ramaphosa a comparé la situation aux émeutes que le pays a connue dans les années 1990, du temps de l'apartheid. Marianne a analysé la situation avec Jacqueline Derens, ancienne militante contre l'apartheid, fondatrice de l'association RENAPAS - Rencontre nationale avec le peuple d'Afrique du Sud.

Jacqueline Derens : Tout d’abord, cette procédure judiciaire a été d’une extrême lenteur. Jacob Zuma est condamné non pas pour les centaines de chef d’inculpation qui l’accusent de corruption mais simplement pour avoir refusé de témoigner devant la commission. Un des plus grands scandales qui le concerne remonte à 1999, lorsque les forces armées sud-africaines ont versé de larges pots-de-vin pour capter des marchés de vente d’armes. Zuma avait alors été pris la main dans le sac au côté de l’entreprise française Thales. À l’époque, une commission parlementaire a été mise en place, mais là encore, tous les éléments intègres ont été écartés. Cette vieille histoire pourrit le climat politique en Afrique du Sud depuis de longues années.

Lorsque Zuma a remplacé l’ancien président Mbeki, ils étaient nombreux à penser que ce nouveau président serait plus proche de la classe ouvrière. On reprochait à Thabo Mbeki d’être au-dessus du peuple et de ne pas l’écouter. Mais ce changement ne s'est pas produit. Une politique néolibérale a été appliquée par Zuma comme par son prédécesseur, et la politique économique suivie a misé sur la théorie du ruissellement. Dans le pays, il fallait rattraper un retard économique énorme. Les populations noires avaient été exploitées pendant plus de 300 ans, et cela ne pouvait pas se rattraper en une ou deux décennies. Finalement, les inégalités n’ont fait que s’aggraver. À cela s’est greffée une crise économique sans précédent en raison de la crise sanitaire. Il y avait tous les ingrédients pour mettre le feu aux poudres. Les Sud-Africains voient des hommes politiques voler de l'argent public sans être punis, donc ils font la même chose.

Dans quelle mesure la condamnation de Zuma fragilise-t-elle l'ANC ?

L’ANC est un véritable parti-État. Il n’y a pas d’opposition véritable dans ce pays. Aujourd’hui, Cyril Ramaphosa se retrouve assez isolé car il a été élu face à Zuma avec un très petit écart de voix. D’ailleurs le clan de l'ex-président a longtemps contesté le résultat des élections. Aujourd’hui l’ANC est fragilisé parce qu'il n’a pas de réponse politique à apporter à la crise. En envoyant l’armée dans les rues, les autorités renvoient inéluctablement aux heures sombres du pays.

« L’apartheid a vicié la structure sociale de l’Afrique du Sud. En outre, il existe aujourd'hui une collusion malsaine entre les gangs et l’État. »

La Cour constitutionnelle de justice est la seule chose qui fasse vraiment tenir l'Afrique du Sud. En son sein, il y a des personnes intègres. Celles-ci ont longtemps été empêchées lorsque Jacob Zuma était au pouvoir. Avec Cyril Ramaphosa, la présence d'un État de droit est toutefois réelle. La Cour constitutionnelle joue un rôle important dans la garantie de l’État démocratique. Mais la justice ne peut pas se substituer à la politique.

Quelle est l’ampleur de la corruption au sein de l’ANC ?

La corruption va du simple militant jusqu'au haut de la pyramide. Même l'actuel président Cyril Ramaphosa est accusé d'avoir acheté des voix. La corruption est une gangrène au sein de l'ANC. Le pouvoir économique a très bien compris que pour continuer à mener sa barque, il fallait bien qu’il ait à sa botte quelques bourgeois noirs, qui sont aujourd'hui immensément riches. À la fin de l'apartheid, une bourgeoisie noire a donc été créée de toutes pièces par les Blancs, mais les pauvres sont restés miséreux. Le système économique ne peut pas tenir de cette manière, et les révoltes sont automatiques.

L’apartheid a vicié la structure sociale de l’Afrique du Sud. En outre, il existe aujourd'hui une collusion malsaine entre les gangs et l’État. Toutes les sociétés de sécurité qui gardent par exemple les boîtes de nuit du Cap sont liées avec le crime organisé. De même pour les pillards qui sont nombreux à appartenir à ces groupes.

Assiste-t-on à la fin du rêve Mandela et au retour de dissensions ethniques dans le pays ?

Le mythe de Mandela ne fait plus rêver grand monde aujourd'hui. Un jeune désœuvré admirera davantage quelqu'un qu'il verra se balader en 4x4 avec des baskets neuves qu'un homme intègre. Les jeunes se moquent d'être dans l'illégalité. La fin justifie les moyens. À ce titre, il y a une faillite morale imputable à l'ANC. Durant les négociations de l'apartheid pendant les années 1990, il y a eu des milliers de morts dans les zones zouloues à l'est du pays. Le gouvernement de l'époque a toujours joué les ethnies les unes contre les autres, et on ne peut pas dire que cette idée a totalement disparu. Si l'ANC est non raciale, elle est à majorité xhosa, tandis que le clan Zuma est zoulou. Les règlements de compte depuis les années 1990 sont toujours fréquents.

Quid des Blancs ? Sont-ils concernés par les manifestations ou restent-ils calfeutrés chez eux ?

Dans les quartiers blancs, les populations commencent à avoir peur, et ce sont les milices qui font la police. Ces dernières ne sont pas constituées d'enfants de chœur, et sont prêtes à tirer si elles voient un voleur. En outre, l'extrême droite blanche est assez implantée en Afrique du Sud. Elle bénéfice de soutiens internationaux et pourrait revenir en force.

S/M/Africsol

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