Alors que les violences se multipliaient dans le pays, Alassane Ouattara, dont l'élection pour un troisième mandat contesté a été validée par le Conseil constitutionnel, a rencontré Henri Konan Bédié, le chef de l'opposition. Amorce d'un dialogue ou jeu de dupes ?
Ils ont « brisé le mur de glace. » L’expression est celle d’Henri Konan Bédié, le chef de la coalition de l’opposition à l’issue de sa rencontre, avec Alassane Ouattara, le président réélu de la Côte d’Ivoire. Mercredi soir, alors que le pays était en train de dériver dangereusement vers une situation rappelant la guerre civile de 2010-2011, les deux hommes ont eu un entretien de 45 minutes à l’hôtel du Golf d’Abidjan. Là même où, il y a près de dix ans, alors alliés face à Laurent Gbagbo, l’un et l’autre se trouvaient reclus pendant les quatre mois de la crise post-électorale.
Depuis 2018, date du divorce consommé entre le RHDP regroupé autour de Ouattara et le PDCI de Konan Bédié - « canal historique » des Houphouëtistes - la tension n’a cessé de monter. Entre eux et, au-delà, dans l’ensemble du pays, attisée par la décision d’Alassane Ouattara de briguer un troisième mandat successif quand la plupart des experts en droit estimaient que la Constitution le lui interdisait.
POURSUITES JUDICIAIRES ET ARRESTATIONS
Rien n’a pu convaincre l’ancien cadre du FMI de renoncer : ni l’appel à la désobéissance civile lancée par la quasi-totalité des partis d’opposition et une mosaïque d’organisations, ni les discrètes pressions diplomatiques. Résultat : une élection largement ignorée par la population, par crainte des violences ou adhésion au boycott prôné par l’opposition, mais finalement validée par le Conseil constitutionnel.
Face à la détermination affichée par ses adversaires, regroupés désormais dans un Conseil national de transition, sorte de gouvernement bis n’en ayant pas le nom, Ouattara a d’abord donné du bâton : poursuites judiciaires pour « attentat et complot contre l’autorité de l’État et l’intégrité du territoire national », arrestation de plusieurs très hauts cadres du PDCI ou, après deux jours de cavale, de Pascal Affi N’Guessan, le porte-parole de l’opposition et dirigeant du FPI, le parti fondé par Laurent Gbagbo. Dimanche dernier, Affi N'Guessan apparaît dans une vidéo tournée, semble-t-il, dans les locaux de la DST ivoirienne, mal à l'aise et visiblement sommé de répondre à des questions très directives d'un interlocuteur hors champ : - « Les réseaux dites que vous êtes décédé, c'est de l'intox hein ! » - « Oui je me porte bien, je ne suis pas décédé, je rassure ma famille »- « Vous avez été torturé ? » « Non, pas du tout j'ai été bien reçu… »
Apparemment, l’opération à laquelle 'Affi » a été forcé de se plier a pour but de calmer ses partisans et tous ceux de l’opposition qui n’en démordent pas et continuent de manifester contre le « troisième mandat illégal » en plusieurs points du pays.
TOLÉRANCE ET PARDON MUTUEL
Depuis le mois d'août, il y a régulièrement des affrontements, avec la gendarmerie ou la police mais aussi avec des groupes de population favorables à Alassane Ouattara et assimilées, à tort ou à raison, aux seules ethnies nordistes musulmanes.
C’est du moins la lecture qu’en donnent certains journaux tout comme les autorités ivoiriennes. Dans un entretien accordé à Paris-Match, Alassane Ouattara n'a-t-il pas dénoncé une opposition irresponsable, jouant avec le feu des divisions communautaires ? Voyez, les faits lui donnent raison !, commente-t-on dans son entourage.
En début de semaine le lundi 9 novembre, le président tente pourtant de se situer au-dessus de la mêlée, condamne toutes les violences, invoque le « vivre ensemble », la tolérance et le pardon mutuel. Mais dès le lendemain, le feu reprend dans les rues de M’Batto, une bourgade située dans la région de Moronou (centre-est de la Côte d’Ivoire) fief d’Affi N’Guessan. Face à face, selon certaines versions, des jeunes de l’opposition, essentiellement des autochtones Agni et des jeunes Malinkés, partisans du pouvoir.
CORPS CALCINÉS ET DÉCAPITÉS
Les heures qui suivent réveillent les pires souvenirs de 2010-2011 : corps calcinés, décapités, un nombre encore indéterminé de morts, des dizaines de personnes blessées, à la machette mais aussi par balles, des boutiques saccagées et des habitants hébétés. Le poison des haines tribales, lit-on ici et là.
Quelques témoignages, difficilement vérifiables, racontent pourtant un autre scénario, impliquant des hordes de petits voyous, les « Microbes », supposément financés et quelquefois armés par le pouvoir pour faire le « sale boulot » en lieu et place des forces de l'ordre. En raison de leurs origines, communes à celles d'Alassane Ouattara, le soupçon est récurrent et, même si elle ne porte pas d'accusation explicite, l'opposition n'en veut pour preuve que les violences survenues au mois d'octobre à Dabou, 50 kilomètres à l'ouest d'Abidjan
85 MORTS DEPUIS LE MOIS D'AOÛT
Pendant trois jours, les dits « affrontements intercommunautaires » font rage. Bilan : 16 morts, 67 blessés. « Les premières investigations ont révélé que ces actes ont été suscités, avec la présence d'individus non-résidents dans la localité qui ont indistinctement porté atteinte à l'intégrité physique et aux biens des membres des deux communautés en ayant pour sombre dessein de créer un conflit intercommunautaire », reconnaît alors le gouvernement. Sans plus de précision sur l'identité des 52 « individus » arrêtés, porteurs de 70 machettes et 12 fusils.
À l’époque, les chancelleries et l'ONU s'alarment. Josep Borrell, le chef de la diplomatie européenne exprime « son inquiétude devant le manque de consensus entourant le processus électoral. » Les mêmes réclamaient depuis quelques jours la libération de tous les prisonniers politiques et, à l'adresse de Ouattara, un « geste fort » en direction de l'opposition. C'était notamment l'exigence d'Emmanuel Macron que l'on disait très contrarié par la raide attitude de son homologue ivoirien et, comme d'autres chefs d'État, choqué par l'intrusion des forces de police dans le domicile même d'Henri Konan Bédié, ancien président de 1993 à 1999.
La rencontre de l'hôtel du Golf semble calmer le jeu mais porte plus de questions que de réponses.. L'ensemble des dirigeants de l'opposition doivent se rencontrer aujourd'hui même et, si tous se félicitent de l'entrevue, ils maintiennent plusieurs demandes avant la poursuite du dialogue, notamment une enquête internationale sur les violences - 85 morts officiellement depuis le mois d'août - et la présence d'un médiateur, non ivoirien et non issu de la CEDEAO ( Communauté économique des États d'Afrique de l’Ouest) suspecte d'être trop partiale. Du départ d'Alassane Outtara, présenté il y a peu encore comme un préalable non négociable, il n'est pour l'heure plus question...
S/MARIANE/AFRICSOL
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