Alors que le vice-président de Guinée équatoriale est jugé en appel, un notaire et une dirigeante d’agence immobilière ont été mis en examen.

Mercredi 18 décembre, le vice-président de Guinée équatoriale, Teodoro Nguema Obiang, dit « Teodorin », se met en scène sur Instagram, jouant au billard en costume sur mesure ou pavoisant au bord d’une piscine. Depuis Malabo, la capitale, le fils aîné du chef de l’Etat équato-guinéen paraît bien peu préoccupé par ses démêlés judiciaires en France.

A Paris, où il a passé une partie de sa jeunesse et dépensé près de 150 millions d’euros entre 1997 et 2011, les juges se penchent à nouveau sur son cas. Soupçonnant ces dépenses somptuaires d’avoir été faites sur des fonds publics détournés, dans le cadre de l’affaire dite des « biens mal acquis » qui vise – outre Rifaat Al-Assad, oncle de l’actuel président syrien – trois familles présidentielles de pays pétroliers d’Afrique centrale : la Guinée équatoriale, le Gabon et le Congo-Brazzaville.

Teodoro Nguema Obiang, 51 ans, est le premier à avoir été condamné, en octobre 2017, à trois ans de prison et 30 millions d’euros d’amende, le tout assorti de sursis. En appel, le procureur de la République a requis, lundi, quatre ans de prison ferme, 30 millions d’euros d’amende, la confiscation des biens saisis et la délivrance d’un mandat d’arrêt international. La décision sera rendue le 10 février 2020. Rifaat Al-Assad, lui, sera fixé sur son sort deux mois plus tard.

« Complaisance » de banques

L’enquête ouverte en 2010, suite à une plainte déposée par les ONG Transparency International et Sherpa deux ans plus tôt, a mis en lumière la présomption de détournements de fonds publics colossaux, blanchis en France. Avec un penchant marqué pour les biens immobiliers et les créations des grandes marques de luxe.

Jusqu’alors, les « facilitateurs », dont les services sont indispensables aux orchestrateurs de flux financiers illicites, avaient été plutôt épargnés. Il en allait ainsi des banques comme la Société générale qui comptait M. Obiang parmi les clients les plus importants de sa filiale équato-guinéenne. Elle a été placée, en 2015, sous statut de témoin assisté même si elle a joué « un rôle déterminant dans l’acquisition des biens mobiliers et immobiliers de M. Obiang », souligne le jugement deux ans plus tard, notant au passage la « complaisance » de l’établissement bancaire.

A la BNP, le flamboyant fils du président était l’une des 1 020 « personnes politiquement exposées » et originaires de pays ciblés par l’enquête des « biens mal acquis », selon un rapport d’audit interne réalisé en 2018. Sur les 377 Gabonais, il y a entre autres la famille du richissime ancien président (1967-2009), feu Omar Bongo.

Le notaire et l’agence immobilière

Ce dernier a bénéficié de la complicité d’intermédiaires pour blanchir tout un pan de sa fortune dans l’immobilier de luxe parisien. Et, pour la première fois dans ce dossier, un notaire, Me Jean-Michel Normand, de même que la dirigeante de l’agence immobilière AICI en France et de sa filiale au Gabon, Elisabeth Gandon, ont été mis en examen en cette fin d’année. Tous deux sont soupçonnés de « recel de détournement de fonds publics, recel de corruption, complicité de blanchiment de détournement de fonds publics et blanchiment de corruption ». Selon des documents récupérés par les enquêteurs, ce binôme a sciemment permis à Omar Bongo d’acquérir pour sa famille une dizaine de biens immobiliers à Paris d’une valeur de 12,8 millions d’euros entre 1998 et 2008.

Cette somme a en grande partie transité par un compte bancaire d’AICI à la Société générale. A Paris, l’agence immobilière fondée par l’actuelle première dame de Côte d’Ivoire, Dominique Ouattara, se chargeait de faire « écran » et de régler les appartements avec les chèques de la société. Parfois, un avocat, Me François Meyer, était même utilisé pour payer plusieurs centaines de milliers d’euros pour le compte de M. Bongo. Puis, Me Normand – condamné en 2015 pour abus de faiblesse contre la milliardaire Liliane Bettencourt –, effectuait les actes « en toute connaissance de cause », selon les enquêteurs. Un procédé destiné à dissimuler l’identité du véritable acquéreur et ainsi éviter d’attirer l’attention des autorités sur l’origine frauduleuse des fonds de l’autocrate gabonais, pilier de la Françafrique. Contactés, Me Normand, Mme Gandon et Me Meyer n’ont pas souhaité réagir.

« Chercher la responsabilité des personnalités publiques est important, mais ce n’est pas suffisant pour mettre un terme à l’impunité, souligne Sophie Lemaître, spécialiste au sein de U4, un centre norvégien de recherche sur les questions de corruption. Il faudrait que, systématiquement, les enquêteurs remontent tous les maillons de la chaîne et ne négligent pas les professions légales et financières intermédiaires, comme les notaires et les professionnels de l’immobilier. »

« Porosité du secteur immobilier »

Banques, avocats, notaires, cabinets d’audit ou de conseil, gestionnaires de fortunes ou agents immobiliers peuvent jouer un rôle technique déterminant pour permettre à leurs clients d’injecter dans des circuits légaux de l’argent issu de transactions douteuses. Des complicités qui restent néanmoins difficiles à démontrer. Jusqu’alors, seule la banque américaine Riggs Bank avait été condamnée, en 2004, pour avoir blanchi des centaines de millions de dollars issus de la corruption en Guinée équatoriale et ne pas avoir alerté les autorités. Depuis, aucun établissement bancaire n’a été poursuivi sur ce type d’infractions même si, en France, le Parquet national financier (PNF) élargit son champ d’actions à ces acteurs.

« Le PNF est particulièrement déterminé à faire aboutir les poursuites pénales dirigées contre les intermédiaires, qu’ils soient localisés en France ou à l’étranger », explique au Monde le magistrat Jean-François Bohnert qui dirige le PNF. « Dans ce dernier cas, notre engagement dans la voie de la coopération judiciaire internationale est d’autant plus fort et efficace que nous bénéficions du soutien actif de nombreux pays à travers le monde, ajoute le procureur de la République financier. Ces contacts opérationnels sont entretenus, notamment, à la faveur de l’engagement de la France dans le réseau des Etats parties à la Convention des Nations unies contre la corruption de 2003 et du développement par le PNF d’une véritable stratégie de diplomatie judiciaire. »

Dans son dernier rapport rendu public en décembre, Tracfin constate en effet « la porosité du secteur immobilier français au blanchiment de capitaux issus d’infractions commises à l’étranger, notamment par des personnes politiquement exposées ». La cellule française de renseignement financier pointe également « le recours à des sociétés aux objets sociaux variés utilisées comme intermédiaires pour récolter les fonds d’origine délictueuse sur des comptes professionnels servant in fine à des dépenses courantes ou à des investissements », tels que des biens immobiliers ou des placements financiers.

Les notaires, tout comme les avocats, mais aussi les agents immobiliers, sont tenus de signaler aux autorités tout soupçon de blanchiment de fonds. Les avocats français n’ont effectué qu’une seule déclaration en 2018 – contre 1 474 pour les notaires – et aucune l’année précédente.

S/LMA/AFRICSOL

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