Renvoyé aux côtés de l’ancien président pour corruption, l’ancien haut magistrat Gilbert Azibert, 74 ans, refuse de se rendre à son procès par crainte du Covid. Le tribunal ordonne une expertise médicale. L’audience est suspendue jusqu’à jeudi.

Il est 13 h 22. Le voilà. Imperceptiblement, Nicolas Sarkozy ralentit le pas dans l’allée en pente douce qui conduit à la barre. En freinant son allure, l’ancien président qui marche d’ordinaire à grandes enjambées, grappille quelques secondes pour sentir la salle. Droit devant lui, dans la fosse aux pieds de l’estrade du tribunal, une vingtaine de robes noires l’attendent. Les ténors de l’audience sont là, mais aussi une foule de curieux du barreau, venus assister à cette audience historique, la première d’un ancien président de la Ve République dans une enceinte judiciaire.

Thierry Herzog, son avocat de toujours, est en tenue de ville, étant poursuivi lui aussi, et occupe l’un des trois fauteuils rouges des prévenus, celui du milieu. Nicolas Sarkozy s’avance vers le premier fauteuil, le plus proche du tribunal, et s’assoit. Jambes croisées, mains jointes devant lui, l’ancien président semble bouillir. L’huissier fait l’appel. « M. Sarkozy de Nagy Bocsa ». La présidente du tribunal correctionnel, Christine Mée, s’excuse presque de cette identité complète, phonétiquement écorchée de surcroît. « On est obligé, pour le casier judiciaire », précise-t-elle. « Sarkozy, c’est suffisant », sourit l’intéressé, quant au casier judiciaire « pour l’instant, il n’en voit pas l’utilité ». Il se rassoit.

« UNE AFFAIRE DE CORNECUL »

Le troisième fauteuil est vide. Gilbert Azibert, ancien haut magistrat à la Cour de cassation, est resté chez lui à Bordeaux. Dans cette affaire, où les trois hommes sont renvoyés pour corruption et trafic d’influence, Azibert est soupçonné d’avoir espionné et tenté d’influencer ses collègues de la Cour de cassation en marge d’un dossier Sarkozy, et ce dans l’espoir d’un coup de pouce pour obtenir un poste de magistrat à Monaco. « Une affaire de cornecul », s’époumonent les proches de l’ancien président, qui jure n’avoir rendu aucun service à Azibert. Ce dernier, durant toute l’instruction,  a répété qu’il n’avait rien demandé, ni rien fait.

Mais l’accusation s’appuie sur des écoutes téléphoniques, notamment celles sur les fameuses lignes téléphoniques prises via le nom d’emprunt de « Paul Bismuth » et servant à Sarkozy et Herzog à communiquer entre eux… en principe à l’abri. Comme durant l’instruction aucune confrontation n’a été organisée entre les trois protagonistes, le procès promet de réserver des surprises. Peut-il raisonnablement se tenir sans la présence d’Azibert ?

"SOLUTION RAISONNABLE"

Son avocat, Me Dominique Allegrini, a déposé deux certificats médicaux, en date des 3 et 11 novembre. « M. Azibert avait pris ses dispositions pour venir à cette audience, mais la pandémie est passée par là, plaide le défenseur. Les médecins qui le suivent depuis une dizaine d’années pour des pathologies cardiaques, lui ont très fortement déconseillé de se rendre à Paris. » Selon Me Allegrini, son client « souhaite comparaître », « tient absolument à comparaître », et « tient à être devant le tribunal quand seront examinées les charges qui pèsent sur lui ». Mais il préfère compte tenu de son âge ne pas s’exposer au risque Covid.

L’excuse est-elle valable ? Pour le parquet national financier, la procureure Céline Guillet pose le cadre juridique. La magistrate déplore que lors de l’audience préparatoire, le 7 octobre dernier, la défense de Gilbert Azibert n’ait pas soulevé de problème de santé. Elle rappelle toutes les mesures de précautions prises dans la salle d’audience (espacements, gel, limitation du nombre de personnes). La procureure indique aussi que l’ordonnance du 18 novembre dernier adoptée en conseil des ministres, a étendu les possibilités de visio conférence dans les enceintes judiciaires. « Il n’y a donc aucun obstacle » de nature à empêcher Gilbert Azibert de comparaître éventuellement depuis une salle de retransmission vidéo du tribunal de Bordeaux.

Au terme de son raisonnement, le parquet, « compte tenu de l’ancienneté des faits » (l’enquête est close depuis le 18 mars 2018) souhaite donc qu’une « solution raisonnable » soit trouvée rapidement. Soit Gilbert Azibert accepte de venir jusqu’à la salle d‘audience parisienne, avec « les règles de précaution actuelles », « éventuellement renforcées », soit le procès se poursuit en  visioconférence.

SARKOZY « VEUT ÊTRE JUGÉ »

Réagissant au parquet, la défense Azibert se répète : elle préfère une « comparution physique », et donc implicitement un report du procès en des temps post-Covid. Les « calendes » disaient les Grecs pour désigner la date du paiement des impôts à une date inexistante…

De son côté, Me Jacqueline Laffont, l’avocate de Nicolas Sarkozy, signale que l’ancien président est là, « veut être jugé » et « a pris ses dispositions ». Mais à « titre personnel, en tant qu’avocat », elle ne peut se résoudre à la comparution d’un des prévenus en visioconférence. Mêmes réserves de Hervé Temime, l’avocat de Thierry Herzog.

Après un rapide délibéré, le tribunal a finalement décidé de reporter sa décision à jeudi. D’ici là, un expert judiciaire va devoir se pencher sur l’état de santé de Gilbert Azibert et éclairer les juges sur sa fragilité supposée au Covid. En fonction du résultat, le tribunal décidera de la suite. Il peut soit reporter l’affaire ; soit ordonner la comparution de Gilbert Azibert en visioconférence depuis Bordeaux ; soit le juger sans lui en présence de son avocat… Dans les deux derniers cas, l’audience devrait reprendre lundi prochain. Avec une semaine de retard.

S/M/AFRICSOL

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