Saint-cyrien, père de six enfants, Philippe François était parti en 2020 entreprendre une nouvelle aventure professionnelle loin de la France. Accusé par le gouvernement malgache d'avoir participé à un obscur projet « Apollo 21 » visant à tuer le président Andry Rajoelina, il a été condamné le 17 décembre dernier à dix ans de travaux forcés, au terme d'un procès bâclé, sans aucune preuve tangible. L'homme paie probablement une situation diplomatique tendue entre la France et Madagascar.

Être condamné à dix ans de travaux forcés à Madagascar, emprisonné à la Maison de force Tsiafahy, à trente kilomètres au sud d'Antananarivo, la capitale malgache, est une bonne définition de l'enfer. Surpopulation, maladies, chaleur et air irrespirable, voilà ce à quoi sont confrontés les détenus, dans ce bâtiment situé sur une colline dépourvue de végétation.

C'est ce que vit depuis plusieurs mois Philippe François, un ressortissant français de 54 ans, accusé par le pouvoir du président Andry Rajoelina d'avoir voulu assassiner ce dernier, dans le cadre d'un complot supposé baptisé « Apollo 21 ». Quatre mois de détention préventive entre son arrestation à l'aéroport, le 20 juillet dernier, et sa condamnation le 17 décembre, au terme d'un procès sous haute tension, vite bouclé, truffé d'incohérences et d'approximations. Un dossier vide, selon ses avocats.

FUSIBLE ?

Philippe François n'a pas vraiment le profil d'un spécialiste des coups tordus. Ni mercenaire en perdition, ni soldat de fortune en quête d'un royaume, ni barbouze agissant discrètement pour le compte d'un État. Plutôt un père de famille de six enfants, ancien de Saint-Cyr, décoré de l'ordre du mérite et breveté de l'École de guerre, officier brillant mais tout sauf discret, reconverti dans le civil après une belle carrière… et cherchant des opportunités d'affaires dans un pays lointain.

Ce qui l'a envoyé à l'ombre ressemble à s'y méprendre à l'histoire banale mettant en scène un pays, en l'occurrence Madagascar, faisant pression sur un autre, la France, en montant de toutes pièces un dossier dans lequel un innocent sert de fusible. Comment ? Pourquoi ? L'histoire est aussi rocambolesque que terriblement angoissante pour sa famille, ses proches et ses amis saint-cyriens, rassemblés au sein du groupe « Soutenons Philippe ».

Sur la page d'accueil du site web dédié, le visage jovial d'un homme réputé pour sa bonne humeur, son intelligence exceptionnelle, sa grande gueule, son humour, son goût pour la fête et sa vie personnelle compliquée. Quatre enfants d'un premier mariage, deux autres d'un suivant, un deuxième divorce, et une compagne, Brigitte, avec laquelle il avait rejoint Madagascar en janvier 2020. Celle-ci, de santé fragile, en rémission d'un cancer, est toujours sur place pour soutenir son compagnon. Sur les images du procès, le prévenu apparaît flottant dans un t-shirt rouge, amaigri de manière impressionnante par le stress et des conditions de détention inhumaines.

CHASSE GARDÉE DU GOUVERNEMENT

Philippe Valantin, un de ses camarades de la promotion Tom Morel en 1987, la même que celle de l'actuel chef d'état-major de l'armée de terre, le général Pierre Schill, se souvient d'un « type qui était rentré major du concours Lettres à l'école, mais dont le but était aussi d'être major en jours d'arrêt, et qui avait créé le "club B", club des "bovins", par opposition au club A, qui regroupait des élèves cavaliers, plutôt bien élevés. Lui, c'est un fêtard, un déconneur ». Au cours de sa carrière, il participe à de nombreuses missions extérieures, au Kosovo, au Tchad, aux Comores, en Bosnie, en Croatie…

De 2010 à 2012, il commande le Régiment de marche du Tchad, avant de quitter l'armée. Il travaille d'abord à la Fnac, dans le domaine de la sécurité, puis dans la logistique, chez FM Logistic et XPO. « Quand, en 2019, il décide de rejoindre Madagascar, c'est pour développer un logiciel d'intelligence artificielle raconte un autre ami, Remy Lescure, qui a vécu lui aussi sur la grande île de l'océan Indien. Il y a là-bas d'excellents développeurs, très forts en mathématiques. » Il le fait au sein de l'entreprise Smart One, jusqu'à sa rencontre, lors d'une soirée à l'ambassade de France, avec Paul Maillot Rafanoharna, un Franco-malgache de 58 ans, lui aussi saint-cyrien, de la promotion général Monclar, celle du général François Lecointre.

Ancien gendarme, Rafanoharana retourne dans son pays en 2014 et s'y lance en politique. Principal conseiller du jeune président Rajoelina, ancien maire d'Antananarivo, que la population surnomme « le Macron de Madagascar », il songe à devenir Premier ministre. C'est lui qui propose à son « petit Co », comme on dit entre anciens saint-cyriens, d'entrer dans un fonds d'investissement spécialisé dans l'extraction et la revente de l'or. Mauvaise pioche. Philippe François se rend très vite compte que ce secteur est la chasse gardée du gouvernement et des réseaux de pouvoir, dans un pays où le népotisme et la corruption sont endémiques. Pas la peine d'insister. La gestion calamiteuse de la crise du Covid-19 ainsi que des problèmes au sein de son couple hâtent son désir de rentrer en France. En juillet, son container est prêt. Il sera de retour pour le mariage de sa fille, en août.

Son ordinateur a tout d'abord « disparu » lui aussi, avant de réapparaître à son tour. Une partie de ses messages seront effacés après sa saisie.

Mais à l'aéroport, le colonel se fait appréhender par les forces malgaches. Au moment de son arrestation, une perquisition vient d'être effectuée au domicile d'un des protagonistes d'« Apollo 21 » : on y aurait découvert 900 millions d'ariary (environ 200 000 euros), un fusil à pompe et six cartouches, des véhicules ayant servi au transport de fonds, du matériel informatique et un courrier demandant à une entreprise de financer « l'alternance démocratique » à hauteur de dix millions d'euros.

Ce courrier a été trouvé dans une clé USB, disparue puis réapparue, qui appartient bien à Philippe François et dont il nie avoir eu connaissance. Son ordinateur a tout d'abord « disparu » lui aussi, avant de réapparaître à son tour. Une partie de ses messages seront effacés après sa saisie. Bien que Brigitte clame haut et fort que sa propre déposition a été modifiée et que Paul Maillot, considéré comme un des principaux complotistes et condamné lui à vingt ans de travaux forcés, ait mis hors de cause Philippe François, ce dernier apparaît comme le parfait lampiste.

Pourquoi lui ? se demandent ses amis. Peut-être parce que, dans un pays autrefois prospère, et devenu, au fil de décennie, le quatrième plus pauvre du monde, aux prises avec une terrible famine et une épidémie non maîtrisée, le président Rajoelina a tout intérêt, pour redorer son blason et se maintenir, à jouer sur la fibre nationale, relayé par les médias, en rassemblant la population autour de la menace d'un complot ourdi par des ressortissants étrangers. En l'occurrence, deux citoyens français.

LES RESSOURCES CONVOITÉES DE MADAGASCAR

Pourquoi la France ? Andry Rajoelina certifie « ne pas avoir de problèmes personnels avec la France ». Il y a été reçu le 25 août dernier à l'invitation du Medef et a pu rencontrer Emmanuel Macron. Mais il a tout de même une inimité déclarée avec l'ambassadeur Christophe Bouchard, qu'une partie de la presse désigne, sans preuve encore, comme un des « cerveaux » d'Apollo 21.

Le pays attise certes les fantasmes mais aussi les convoitises réelles. Madagascar est un pays pauvre, mais plein de ressources, sur lesquels lorgnent des grandes puissances, aux premiers rangs desquels les États-Unis et la Chine. La Grande Île possède des richesses agricoles et minières. On y trouve quantité de métaux rares et de pierres précieuses, du tungstène ou du saphir. Mais le pays dispose aussi d'immenses réserves supposées de pétrole et de gaz ainsi que des ports en eaux profondes nécessaires à l'acheminement de matières premières et de produits manufacturés.

Dans ce contexte de tension entre les deux pays, le maintien en détention de citoyens français représente un moyen de pression de la part de Madagascar.

Ces ports sont situés sur ce que l'on désigne comme « la route de la soie maritime » chère à Pékin. Problème : ces ports font face aux îles Éparses, possessions que la France a conservées après l'indépendance et qu'Emmanuel Macron dit vouloir garder, officiellement pour y préserver une biodiversité exceptionnelle. Depuis les années 70, Madagascar en revendique la possession. Cet objectif ferait les affaires de la Chine s'il devait aboutir. Riche en énergie, la zone du canal du Mozambique attire de plus en plus d'acteurs économiques et étatiques.

Par ailleurs, selon un bon connaisseur du dossier, la France aurait aussi déplu à des proches du pouvoir malgache, en mettant son veto à l'attribution d'une aide de l'OMS, l'Organisation mondiale de la Santé. Destinée à l'achat de vaccins contre le Covid, cette aide est soupçonnée d'avoir été détournée pour construire des usines de fabrication d'un « vaccin miracle » produit grâce à une plante médicinale locale.

Dans ce contexte de tension entre les deux pays, le maintien en détention de citoyens français représente un moyen de pression de la part de Madagascar. « Notre ami est victime d'enjeux qui le dépassent, estiment ses proches. Nous sommes très inquiets pour lui, pour sa santé et pour celle de sa compagne. Il y a des accords d'extradition entre les deux pays. Il faudrait vraiment qu'il puisse revenir en France. Le Quai d'Orsay est conscient de la situation et la suit, sans doute sans faire trop de bruit, mais il ne faudrait pas que cela dure trop longtemps. Ce que vit Philippe est terrible, et injuste. Il faut qu'il puisse retrouver sa famille, ses enfants et ses petits-enfants. »

S/MARIANNE/Africsol

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